Erik Decamp

Mountain Guide

Feb 2014

Ce matin, la Verte a grondé

Lorsque j’entends des personnes exprimer ce que la montagne représente pour eux, certains évoquent le silence et l’immobilité, d’autres le fait qu’il se passe toujours quelque chose et qu’il y a des bruits. Les deux sont vrais, je crois. Peut-être même le silence signifie-t-il la rareté des bruits, ce qui du coup les fait ressortir, et peut-être la sensibilité aux bruits est-elle d’autant plus vive qu’ils se distinguent sur un fond de silence, rare dans le quotidien, surtout urbain. En montant au col du Passon ce matin, quelques bruits de la vallée venaient jusqu’à nous, sur fond ouaté de neige fraîche. Quand un grondement sourd s’est distingué, quelque part vers l’Aiguille Verte. Une chute de séracs provoquant une avalanche. Personne dessous, apparemment. Hormis cet événement, conditions très sûres, neige parfaite, aucune trace devant moi dans la descente, on ne pouvait rêver mieux...

L'imaginaire d'après nature

Des lignes et des couleurs, épurées à la limite de l’abstraction. Parfois nous est offert, à portée de saisie photographique, un spectacle de nature qui se relie directement à l’imaginaire. C’est sans doute cela qui, sans que l’on sache toujours bien pourquoi, retient notre attention. Pour ce qui est du ski, la neige était parfaite, mais c’est une autre histoire...

Haut, bas, dessus, dessous

Quand je suis en montagne j’aime, étant en haut, voir le bas. La jouissance de l’altitude est pour moi d’autant plus vive qu’elle me permet de ressentir ses deux dimensions : l’élévation et la profondeur. Une mer de nuage est d’une beauté stupéfiante et nous fait éprouver tout autre chose : le passage du « dessous » - ciel gris, lumière pâle, reliefs éteints - au « dessus » - explosion de couleurs, lumière vive, chaleur. De là-haut, c’est comme si ce qui est dessous n’existait plus. La descente des Marbrées était très belle.

Photographie en mouvement ?

Deuxième journée, cette fois-ci nous choisissons le col d’Argentière, un belle manière d’entrer dans le massif, de skier face aux grandes parois nord de ce bassin glaciaire. Avec le numérique, je joue un peu (au prix où est le film, on peut se permettre...) : en les laissant partir en premier pour profiter des virages dans la neige poudreuse, je tente au jugé de photographier le mouvement, alors que, skiant derrière eux, je suis en mouvement. Parfois, ça marche à peu près...

Voir avec l'oeil de l'autre

Pour Evelyne et Joël, cette journée était toute de découverte et de re-découverte. Comment pourrais-je ne pas m’émerveiller, d’autant que l’émerveillement est visible dans le regard de mes compagnons ? Nous parcourons la beauté, apprenons à en déceler certains pièges, prenons plaisir à faire notre chemin. Quelle réserve inépuisable !

Inusable

Revenu très tardivement hier soir, hésitant sous l’emprise d’une lutte féroce entre le sommeil et le soleil, la lumière de midi a finalement eu raison de moi et m’a décidé à prendre les skis et le nécessaire pour une Vallée Blanche « entre midi et deux » (la variante du cinq à sept ?). L’oeil imprécis, indécis intérieurement en montant à l’Aiguille du Midi, une fois là-haut la beauté, elle aussi, a eu raison de moi. Ce paysage a beau m’être très familier, il m’émerveille à chaque fois et je ne vois pas ce qui pourrait ternir à mes yeux le souffle de ces lieux. Connaître cela est un grand privilège.

Conversion, conclusions

Magnifique journée à l’Aiguille de Pormenaz, avec des conditions optimales après la chute de neige de la nuit dernière. Les deux compères guides avec qui je partageais cette sortie entre amis - Yves Martine et Christophe Bressand - ont vite filé devant pendant que je tentais de ne pas prendre trop de retard. D’ailleurs, à la sortie du couloir de la Chorde je n’eus plus devant moi qu’une trace. D’où, au retour, j’ai tiré deux conclusions : la première, que je ferais bien de m’entraîner un peu plus ; la deuxième, que même en m’entraînant ce n’était pas gagné !



Le dit couloir de la Chorde n’est pas trop large et un poil pentu. D’où quelques conversions inévitables. Depuis fort longtemps nous pratiquons la conversion par l’amont, en ramenant la deuxième jambe avec un mouvement vers l’arrière et un petit coup de talon qui permet de faire passer le ski aisément et sans s’écarteler. La première jambe, elle, fait un élégant mouvement d’essuie-glace qui teste les hanches récalcitrantes. Justement, la pente aidant, ce mouvement devient moins confortable et la répétition de cet inconfort a produit cette fois un résultat cognitif intéressant : tout à coup, je me suis dit que je pourrais peut-être, avec la première jambe, faire ce que je fais depuis des années avec la deuxième, un mouvement aisé par l’arrière plutôt qu’un geste inconfortable. Ce qui me sidère, c’est de n’y avoir pas pensé avant ! D’où une autre conclusion : parfois c’est à force de se heurter toujours à la même difficulté que l’on finit par imaginer un moyen de la contourner.

Blanc

Réveil blanc, montée blanche, journée blanche. Sous nos skis et autour de nous, tout n’est qu’un vaste édredon blanc, tout est rond, profond et léger. Peu de visibilité, heureusement nous sommes en forêt et quand nous la quittons le sommet est vite atteint, où se trouve cet autre repère placé par l’homme pour signifier la relation entre la terre et le ciel (c’est du moins ce que j’ai cru comprendre...). Les rares sons qui nous parviennent sont ouatés, amortis. Tout n’est que froissement, glissement, chuintement. Nous croisons un seul skieur solitaire qui nous a précédés. Atmosphère assez irréelle à laquelle Emilie, pour sa première sortie, me semble fort sensible. Belle journée.